Le raisonnement clinique est présent dans toutes les professions de la santé. Il se rapporte aux processus de pensée et de prise de décision qui permettent au clinicien de proposer une prise en charge dans un contexte spécifique de résolution de problème de santé [1]. Selon Higgs, auteur de Clinical reasoning in the health professions, il est au cœur de la pratique et de l’enseignement [2]. Comment se définit le raisonnement clinique dans le cadre de la massothérapie? Quelles en sont les composantes? Comment s’exerce-t-il? Pour répondre à ces questions, l’incursion dans les écrits s’accompagne ici de l’opinion d’un expert.
Définir le raisonnement clinique en massothérapie
Au sein de la FQM, l’appellation de massothérapeute agréé certifié comme celle de kinésithérapeute agréé certifié sont associées à une formation de 1 000 heures portant notamment sur le raisonnement clinique. Dans le Modèle québécois de massothérapie, cet apprentissage fait d’ailleurs partie du module 5 du profil 2, consacré à l’évaluation ainsi qu’au suivi thérapeutique et comprenant 120 h de formation.
En 2008, Kim LeMoon, une massothérapeute affiliée à l’Université Rutgers, au New Jersey, définit le raisonnement clinique en massothérapie comme un processus par lequel un massothérapeute, lors d’une interaction avec un client, formule des objectifs et des stratégies de soin en fonction des préférences du client, de ses antécédents et de son évaluation physique, qui sont à leur tour éclairés par la profondeur et l’étendue des connaissances du massothérapeute et de son expérience clinique [3]. Selon elle, il s’agit d’un continuum sur le spectre de développement de la maîtrise clinique, dans lequel l’acquisition de connaissances et le développement de compétences en raisonnement clinique se produisent simultanément.
En 2013, dans son mémoire de maîtrise en sciences de l’éducation, Delphine Guyete décrit le raisonnement clinique du masseur-kinésithérapeute comme « une façon [cyclique] de penser la profession, alliant des allers retours entre théorie et pratique, à la recherche des éléments cliniques pouvant être expliqués par la théorie qui, elle-même, alimente la pratique professionnelle » [4].
Toujours en 2013, mais plus près de nous, Le Massager a consacré tout un dossier au raisonnement clinique [5]. Julie Levac-Rancourt (Collège Boréal, Ontario) le définit comme un « processus opérationnel coordonné servant à résoudre des problèmes, à prendre des décisions éclairées, et à justifier ses choix ». Elle fait référence au modèle de raisonnement hypothético-déductif comprenant 25 étapes pour créer un plan de soins fondé sur les données probantes, adapté d’Andrade dans Outcome-based massage : putting evidence into practice, 3d edition (2013). Ces 25 étapes sont catégorisées en quatre phases : évaluation, planification du traitement, phase de traitement, congé. Par évaluation, on entend la cueillette d’information, des objectifs et des besoins du client, notamment au moyen du questionnaire santé. La planification du soin vise à établir une stratégie et des techniques répondant le mieux possible aux besoins. Après le soin, le « congé » consiste à faire le bilan et à planifier le suivi.
Vivre le raisonnement clinique dans la pratique
Francis Létourneau est fondateur et directeur pédagogique de l’Institut Axis. Diplômé en massothérapie, en entraînement privé, en acupuncture, en posturologie et étudiant actuellement en ostéopathie au Centre d’ostéopathie du Québec, il enseigne les ventouses thérapeutiques à l’Institut de formation en massothérapie du Québec (IFMQ).
Après avoir formé près de 1 000 massothérapeutes, Francis Létourneau constate que, pour exercer un raisonnement clinique, il est nécessaire de consolider la base, soit de posséder de bonnes connaissances cliniques en matière d’anatomie, en particulier sur le système musculaire : nom et localisation exacte de chaque muscle, point d’insertion, mouvements impliqués dans la douleur potentielle. Maîtriser le vocabulaire permet notamment de bien expliquer, en toute confiance, les techniques au client : en mettant ses connaissances au service de l’interaction, le ou la massothérapeute implique pleinement le client ou la cliente dans le soin.
La personne qui consulte en massothérapie arrive avec un besoin, un problème à résoudre. Dans le cadre de son raisonnement clinique, le massothérapeute fait des constats qu’il va mettre au service du soin. Pour cela, il combine l’information livrée par le client avec les éléments issus de ses propres observations visuelles. Ainsi, il doit bien cerner l’« avant », par exemple l’impact de la douleur sur l’amplitude d’un mouvement, pour pouvoir construire un « après ». Cette combinaison permet d’établir un « plan de match » en concertation avec le client partenaire.
Ce plan reste interactif tout au long du soin, car chaque information est au service du raisonnement clinique : à titre d’exemple, la température de la peau peut indiquer la présence d’une inflammation, donc un besoin de drainage, ou au contraire un besoin d’activation de la circulation, éléments qui n’étaient pas perceptibles lors de l’accueil.
L’après-soin constitue un moment de bilan concerté sur les résultats obtenus, mais aussi de planification du suivi. Là encore, le ou la massothérapeute exerce son raisonnement clinique en proposant un plan factuel au client. En somme, le raisonnement clinique en massothérapie combine connaissances théoriques et expérience pratique, informations et observations, se déroule tout au long du rendez-vous et s’exerce en concertation avec le client ou la cliente, le tout pour des soins optimaux.
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Le client partenaire en massothérapie
Références :
[1] Nendaz, M., Charlin, B., Leblanc, V., et Bordage, G. (2005). Le raisonnement clinique : données issues de la recherche et implications pour l’enseignement. Pédagogie médicale, 6(4), 235-254.
[2] Higgs, J., Jones, M. A., Loftus, S., et Christensen, N. (Eds.). (2018). Clinical reasoning in the health professions, 4th ed. Elsevier Health Sciences.
[3] Lemoon, K. (2008). Clinical reasoning in massage therapy. International journal of therapeutic massage & bodywork, 1(1), 12–18. https://doi.org/10.3822/ijtmb.v1i1.2
[4] Guyete, D. (2013). La formalisation et l’apprentissage du raisonnement clinique en formation initiale de masseur kinésithérapeute, une identification des savoirs de la pratique professionnelle [Mémoire de maîtrise]. France : Département des Sciences de l’Éducation, Université de Rouen.
[5] Beauregard, A. (2013). Le raisonnement clinique : dossier. Le Massager, 30(3), p. 7-19. [Section Portail membres].
Jones, M. A. et Rivett, D. A. (2004). Clinical reasoning for manual therapists. Elsevier. https://doi.org/10.1016/B978-0-7506-3906-4.X5001-1
Rédaction : Catherine Houtekier, rédactrice agréée et réviseure