Entrevue avec Arsène Bédard, massothérapeute et non-voyant
EN NOVEMBRE 2016, LE MASSAGER RENCONTRAIT ARSÈNE BÉDARD, UN MASSOTHÉRAPEUTE AVEUGLE AU PARCOURS EXCEPTIONNEL. NOUS AVONS VOULU PARTAGER AVEC VOUS L’HISTOIRE DE CET HOMME FONCEUR AUTANT QU’OPTIMISTE, POUR QUI UN BEAU CONCOURS DE CIRCONSTANCES A LITTÉRALEMENT TRANSFORMÉ SA VIE… POUR LE MIEUX!
Arsène Bédard a grandi en Abitibi. À l’âge de 16 ans, il perd la vue à la suite d’un accident et se retrouve incapable de travailler à la ferme familiale. Bien que le deuil de sa vision soit difficile, le jeune homme se retrousse les manches et s’installe à Montréal, où il décroche un emploi dans une usine de boîtes de carton. Pendant 26 ans, il peaufinera sa vitesse d’exécution en chaîne de montage, pour finalement être remercié à l’approche de la cinquantaine. À ce moment, sa vie prend un tournant inespéré : on lui propose de retourner sur les bancs d’école et de devenir massothérapeute… à l’âge de 48 ans.
Nous sommes au début des années 1980. L’Institut national canadien pour les aveugles (INCA), qui s’occupe alors de trouver du travail à ses membres, propose à monsieur Bédard un nouveau programme de formation, qui envisage d’enseigner à huit hommes non-voyants le métier de massothérapeute. Pendant les quelques six mois que dure sa formation, l’ancien travailleur d’usine voyage en autobus matin et soir, boîte à lunch à la main, pour se rendre à l’école située à Montréal, près de la Maison du père. Son objectif : y apprendre à maîtriser l’art du massage.
Une fois sa formation complétée, monsieur Bédard installe sa table de massage chez lui, dans son sous-sol. Au cours des 24 années durant lesquelles s’échelonnera sa carrière de massothérapeute, il consacrera ses mains au massage, avec le soutien administratif de la FQM.
MASSOTHÉRAPEUTE ET NON-VOYANT
Au Québec, très peu personnes aveugles pratiquent la massothérapie. Pourtant, avec un sens en moins, le toucher se développe davantage. Et dans un domaine où l’on exploite le toucher à son maximum, être aveugle présente des atouts considérables.
Le fait d’avoir développé avec le temps son sens du toucher a en quelque sorte permis à monsieur Bédard de « voir avec ses mains ». Ainsi, l’évaluation du client par la palpation l’aidait à identifier plus facilement les zones de tension et de déséquilibre dans le corps pour ensuite mieux intervenir auprès de son client. De plus, le massothérapeute affirme que ses clients se sentaient moins gênés en sa présence. Le fait d’être aveugle lui a donc permis d’élargir sa clientèle. Ainsi, les femmes, parmi lesquelles se retrouvaient plusieurs religieuses, venaient le consulter régulièrement.
Afin d’en savoir davantage sur l’expérience personnelle de monsieur Bédard, nous lui avons demandé de quelle manière ses clients réagissaient lorsqu’ils apprenaient qu’il était aveugle. Le massothérapeute esquisse un sourire avant de répondre, avec la candeur qui le caractérise : « Je fais ce que je suis supposé faire. Les gens posent des questions, ils me font rire! » Pour lui, la perte d’un sens comme la vue n’est pas un handicap, mais plutôt une manière différente de fonctionner. Dans la vie, comme en massothérapie.
UNE PRATIQUE EN PLEINE ÉVOLUTION
Au cours de ses années de pratique, monsieur Bédard a reçu beaucoup de clients en consultation. Des hommes et des femmes, malades ou en santé, en douleur ou stressés. Et, en l’espace de quelques décennies, il a constaté une grande évolution dans la pratique de son métier.
Dans les années 1980 et 1990, la massothérapie se trouvait en pleine transition. Ainsi, alors que les hommes et les femmes étudiaient séparément au début de la carrière de monsieur Bédard, ils sont maintenant regroupés dans les salles de classe. Bien qu’autrefois les hommes devaient se faire masser par un homme et les femmes par une femme, le choix du massothérapeute est aujourd’hui devenu une affaire personnelle. Même du côté de la FQM, le soutien aux membres est mieux adapté que jamais aux réalités vécues par ses massothérapeutes agréés.
La massothérapie gagne également en popularité. De nos jours, « il y a beaucoup plus de personnes qui se prévalent d’un massage parce que ça fait du bien », note monsieur Bédard. Et, parce que la massothérapie est davantage perçue comme un soin thérapeutique plutôt qu’une activité réservée à la détente, elle tend peu à peu à s’intégrer à nos habitudes de vie.
LA GUÉRISON : LA MEILLEURE RÉCOMPENSE QUI SOIT
Quand nous demandons à monsieur Bédard ce que représente pour lui la massothérapie, il répond sans hésiter : « C’est de redonner aux gens la santé ». Quoi de plus gratifiant qu’un client qui, après un massage, repart sans douleur?
Monsieur Bédard a cessé de recevoir des clients depuis quelques années. N’ayant plus la force physique pour continuer à pratiquer ses massages, l’homme n’a eu d’autre choix que de ranger sa table. Il ne garde cependant que de beaux souvenirs de ces années de pratique, agrémentées par de nombreuses discussions et teintées de chaleur humaine.